L’utilisation de substances est souvent cachée – les gens souffrent de la stigmatisation en silence

Mon fils Danny: la vérité sur l’utilisation de substances, la stigmatisation et les surdoses – Produit par les Conférences Ted. Plus d’infor à MomsStopTheHarm.

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Petra Schulz:

L’appel téléphonique qui a changé à jamais notre vie est survenu en janvier 2011. C’était un appel de notre plus jeune fils, Danny. Il habitait à Vancouver où il étudiait à l’école culinaire. Tout de suite, il m’a annoncé qu’il utilisait des drogues depuis un bon moment déjà et qu’il avait  maintenant de gros ennuis. Cela a dû être extrêmement difficile pour lui de se confier sur ce qu’il vivait. Comme son petit ami l’avait laissé, il n’avait plus d’endroit où vivre. Et puis il avait dépensé tout l’argent de son prêt étudiant et n’avait plus un sou. Il est revenu à Edmonton et alors, un cycle de traitement de désintoxication et de rechutes s’est amorcé. Chaque fois qu’il n’avait pas de drogue dans son système, nous nous disions que nous allions peut-être retrouver notre Danny. L’enfant que nous connaissions. Celui qui nous faisait rire, qui préférait une machine à écrire à l’ordinateur, et qui adorait les voitures classiques.

Nous avons appris à la dure que ce n’est pas ainsi que fonctionne le trouble lié à l’utilisation de substances. C’était douloureux et effrayant pour nous de le voir aux prises avec les symptômes de sevrage. Le sevrage de drogue est bien pire que la pire des grippes. Et je me disais qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour éviter d’avoir à revivre ça, mais le besoin de drogue demeure longtemps après qu’elle soit disparue du système. Et ses problèmes sous-jacents n’avaient pas disparu. Maintenant, je comprends que dans son cas, il y avait plusieurs facteurs de risque. D’abord, il souffrait d’anxiété sociale parce qu’en tant qu’ado homosexuel, il avait été victime d’intimidation au secondaire. Mais aussi, ses difficultés d’apprentissage faisaient en sorte qu’il avait de la difficulté à contrôler ses impulsions.

Danny s’automédicamentait. Il a commencé avec des opioïdes d’ordonnance qu’il se procurait illégalement. Lorsqu’il ne pouvait s’en procurer, il se rabattait sur les drogues de rue, plus dangereuses. Un jour, je lui ai demandé : « Danny, pourquoi consommes-tu ? ». Sa réponse m’a ouvert les yeux: « Quand je prends une de ces pilules, je peux entrer dans une pièce et être simplement moi-même ». Alors j’ai pensé : « Wow… ça ne devrait pas être si difficile pourtant. Il pourrait trouver d’autres façons d’arriver à ça sans utiliser des drogues ». La plupart d’entre nous ne consommons pas de substances de façon problématique, mais des gens qui consomment comme Danny, le font souvent à cause d’une douleur physique et émotionnelle ou d’un traumatisme.

Au cours d’une discussion au sujet de Danny, mon mari Rick m’a dit : « Nous pourrions le perdre à cause de ça. Il pourrait en mourir. »  J’ai répondu : « Non, c’est impossible, impossible. On a les choses en main. Il va s’en sortir ». Dans notre famille, je suis celle qui se démène si quelque chose va mal. Alors, je croyais qu’on pourrait surmonter ça aussi. Mais l’information que nous recevions des services de santé n’était pas très utile. Personne ne nous a expliqué à quoi peut ressembler le traitement d’une dépendance aux opioïdes, ni ce qu’est la réduction  des méfaits, qui vise à ce que les gens soient aussi en sécurité et en santé que possible sans se sentir jugés ni ressentir de la honte. Il y a tant de choses que nous ignorions.

J’ai appris l’existence de la naloxone, qui annule les effets d’une surdose, seulement après la mort de Danny. Les choses ont évolué mais pour Danny il était trop tard. Danny est retourné à Vancouver et il a continué à consommer des drogues. Une personne qui prend des opioïdes pendant une longue période développe une tolérance à celles-ci. Et l’effet de bien-être, de se sentir à l’aise est remplacée par le désir de simplement éviter les symptômes de sevrage. Danny avait besoin de doses de plus en plus fortes et il a alors commencé à se l’injecter.

À cette époque, nous avions très peu de contacts avec lui et avons vécu de nombreuses nuits d’insomnie. Mais en 2012, alors qu’il vivait toujours sur la Côte ouest, Danny s’est dit enfin prêt à suivre un traitement à la méthadone. Plus tard cette année-là, il est revenu à la maison à Edmonton afin de reprendre sa vie en main. Nous pouvions enfin retrouver notre plus jeune à peu près comme nous l’avions connu autrefois. Il s’est trouvé un emploi dans l’un des meilleurs restaurants d’Edmonton et vivait dans un appartement tout près de son travail. Le dimanche, il venait dîner à la maison et l’une des plus belles images que je conserve de cette période est de le voir assis à la table de la cuisine en train d’aiguiser mes couteaux. Un bon chef tient toujours ses couteaux bien aiguisés et Danny tenait les siens et les miens bien aiguisés.

Malheureusement, il n’a pas persévéré assez longtemps avec son traitement. Il a cessé de voir le psychologue parce que les séances entraient en conflit avec son horaire de travail, et il a cessé de prendre la méthadone avant de se stabiliser. Nous pensions à tort que la méthadone n’était qu’une drogue comme les autres et nous l’avons encouragé à cesser d’en prendre probablement trop tôt. Pour une personne suivant un traitement de substitution aux opioïdes, pour que cela soit efficace, la personne doit se stabiliser avant de pouvoir cesser le traitement. On n’imagine pas une personne souffrant d’un autre problème de santé se passer de ses médicaments. Mais nous le faisons dans le cas d’utilisation de substances et ce, en ne tenant pas compte des meilleures pratiques et de l’avis des médecins, ce qui entraîne souvent des conséquences dramatiques. L’effrayante  prédiction de Rick a fini par se réaliser. Danny a fait une rechute. Il a acheté un comprimé qu’il croyait être du faux oxycontin alors qu’il contenait plutôt du fentanyl. Le 30 avril 2014, Danny est mort seul dans l’appartement qu’il avait meublé avec tant de soin quelques mois plus tôt.

Comme famille, nous avons dû prendre des décisions difficiles pour lesquelles nous n’étions pas préparés. La plus difficile fut de décider de ce que nous dirions pour expliquer son décès. Dire la vérité ? Comment trouver les mots ? En préparant les funérailles, nous avons appris qu’une éloge funèbre, c’est parler en bien d’une personne. Mais il était clair pour nous que pour parler en bien d’une personne, il ne faut pas mentir. Comment Danny a vécu, comment il est mort faisaient partie de lui. Alors nous avons raconté toute l’histoire. Une fois les funérailles terminées, nos amis, ses collègues de travail, tous étaient surpris. La consommation de substances est souvent cachée et Danny était un maître en la matière. Nous avons aussi été surpris par le nombre de personnes dans notre cercle d’amis qui nous ont confié que des proches vivaient un tel problème ou qu’eux-mêmes l’avaient vécu. J’ai alors pensé : « Où étaient donc ces gens ? Je n’en ai jamais rien su. » Et j’ai compris qu’ils avaient vécu la même chose que nous. Ils avaient souffert  de la stigmatisation en silence.

Les surdoses ne font pas de discrimination. Cela peut arriver à n’importe qui, dans n’importe quelle famille. Lorsque le nombre de victimes s’est mis à augmenter sans que le gouvernement ne fasse quoi que ce soit, j’ai communiqué avec des représentants du réseau de santé et avec les médias. J’ai rencontré d’autres femmes partageant les même pensées, qui partageaient ma douleur mais aussi ma volonté de provoquer un changement.  Ensemble, nous avons formé le groupe Moms Stop the Harm [les mères pour la réduction des méfaits]. Ces gens, ce sont quelques-uns des êtres chers dont les membres du groupe sont en deuil.  Ils proviennent de toutes les couches de la société, sont de tous les genres. La plupart sont des jeunes hommes de 25 à 40 ans. La plupart ont eu des problèmes de santé mentale ou des traumatismes. Et la plupart sont morts quelque part, seuls. À la fin de cette journée, quand nous rentrerons tous à la maison, 11 personnes, oui, 11 personnes seront mortes d’une surdose au pays, au Canada. Imaginez si votre enfant mourrait d’empoisonnement en buvant l’eau du robinet et que de plus en plus de personnes mourraient aussi en buvant cette même eau. Vous laisseriez faire? Vous vous contenteriez d’être un simple spectateur ou vous passeriez à l’action ? Vous vous relèveriez les manches pour régler le problème ? Il faudra des changements profond pour régler cette crise. Les gens les plus affectés par cette crise de même que les experts en politiques publiques sur les drogues réclament des actions dans cinq domaines. Premièrement, il faut un accès sécuritaire et réglementé aux substances sur ordonnance pour les personnes qui en ont besoin, afin qu’elles ne soient pas forcées de s’approvisionner avec des drogues toxiques de la rue. Deuxièmement, il faut décriminaliser la possession de substances pour usage personnel afin que l’on puisse aider les gens plutôt que les emprisonner. Troisièmement, nous avons besoin de services de réduction des méfaits pour tous, partout, afin de garder les gens aussi en santé et en sécurité que possible. Quatrièmement, nous devons faciliter l’accès à des traitements basés sur des données scientifiques afin que plus personne ne meure en attendant d’être traité. Et cinquièmement, nous devons faire de la prévention en amont et nous préoccuper des causes sous-jacentes comme la santé mentale et les traumatismes.

Nous devons mettre fin à la stigmatisation, à la honte et aux blâmes concernant les soi-disant mauvais choix des gens. C’est ainsi que nous aiderons ces gens à se confier et à demander l’aide dont ils ont besoin. La vérité, c’est que les personnes qui utilisent des drogues, comme notre fils Danny, sont comme vous et moi. Elles méritent d’avoir un avenir et elle méritent une chance. Cette chance, Danny ne l’a pas eue. Nous pensons à lui chaque jour et il nous manque terriblement. Avec sa mort, le rire a déserté notre famille et mes couteaux sont toujours émoussés. Je me demande souvent comment les choses auraient pu se terminer autrement pour Danny, pour nous et pour notre famille. Il est de notre responsabilité collective de nous assurer que l’histoire se déroule autrement pour vous et vos enfants. Et j’espère sincèrement que raconter l’histoire de Danny contribuera à ce que cela se réalise.

Merci beaucoup.