L’histoire de Donna

Donna – Produit par Santé Canada

Narrateur : 

Bien en vue est une série audio produite par Santé Canada, qui explore les histoires personnelles de personnes touchées par la crise des opioïdes. 

D’après les statistiques les plus récentes, environ 12 personnes meurent d’une surdose d’opioïdes au Canada.

On le voit au bulletin de nouvelles. On est conscient que ça arrive. On sait que c’est vrai. Mais on se dit que ça ne pourrait pas arriver à quelqu’un qu’on connaît, à un collègue, aux gens qu’on aime, et qu’on est nous-mêmes à l’abri.

En réalité, la crise des opioïdes bat son plein bien en vue et peut toucher n’importe qui. Des milliers d’histoires en témoignent.

Donna nous parle de sa relation avec sa fille, qui était aux prises avec une consommation problématique de substances. Écoutons l’histoire de Donna.

Donna : 

Elle a souffert de symptômes d’anxiété et de maladie mentale pendant des années avant de recevoir un diagnostic. Elle s’est auto-médicamentée avec de l’OxyContin qui lui avait été prescrit. Et elle était très honnête à ce proposelle disait : « Cela fonctionnecela m’aide avec mon anxiété sociale ». Et vous savez, dans ma grande naïveté, j’ai dit parfait, continue à prendre ce médicamentpuisque tu arrives à fonctionner ! Tu fonctionnes bien comme çac’est parfait, c’est facile de s’entendre avec toi. Et ensuite le médecin a cessé de lui prescrire lorsque ma fille lui a expliqué, « c’est pour ça que je le prends », et il a dit : « mais je ne prescris pas ça pour cette raison » et lui a dit qu’il ne voulait plus être son médecin. Et donc elle s’est tournée vers les drogues de rue et ça l’a entrainé dans une terrible spirale qui a fait en sorte qu’elle a tout perdu. Ses enfants, sa maison, sa relation, tout, et elle a fini dans la rue, elle est devenue la droguée type que tout le monde cherche à éviter lorsqu’on la croise dans la rue. 

Et alors, mon expérience a été que j’ai été dure avec elle et cela a fait en sorte qu’elle s’est enfoncée encore plus. Lorsque j’ai vraiment compris à quel point elle était en danger, il était trop tard et je n’ai pas pu la convaincre de demander de l’aide. Puis, comme je l’ai déjà dit, un jour, nous avons reçu un appel de l’hôpital nous demandant de venir rapidement, car ma fille était sur la table d’opération et qu’on ne savait pas si elle allait se réveillerIls devaient amputer sa jambe pour arrêter une fasciite nécrosante. Et lorsque nous sommes arrivés à l’hôpital, la chirurgie était terminée et ils n’avaient rien pu faire pour arrêter l’infection. La maladie avait atteint les organes internes et elle allait mourir. Et finalement, il fallait qu’elle me disetu sais, il faut vraiment savoir ce que la dépendance aux drogues est vraiment. Et lors de ses derniers joursc’est ce qu’elle a fait avec moielle m’a parlé de cette dépendance, de ce qu’elle vivait et des raisons sous-jacentes pour lesquelles elle avait besoin de prendre des drogues. 

Ça a été une révélation. Vous savezquand elle est décédéeelle voulait que j’aide d’autres mères et d’autres pères à comprendre les raisons pour lesquelles leur enfant prend réellement des drogues. Et ce n’est pas pour le plaisirou pour s’amuser, et ce n’est pas simplement pour faire comme votre entourage. Lorsque vous commencez, il est très difficile d’y renoncer, surtout lorsqu’il s’agit d’opioïdes, car ils modifient le corps d’une personne. Cela a été mon plus gros défi, de dire aux parents que consommer n’est pas uniquement un acte délibéréquelque chose qu’ils peuvent arrêter. Nous devons vraiment faire des efforts pour comprendre les effets des opioïdes sur le corps d’une personne et de la dépendance qui en résulte. 

Et vous savez, les parents trouvent plus facile — et personnellement j’ai trouvé cela plus facile — d’être dur que de tenter de résoudre un problème que personne n’a réussi à solutionner pendant des décennies. Et ça remonte à l’époque où les opioïdes étaient ce que j’appellerais des « drogues propres » parce qu’elles étaient prescrites. Et aujourd’hui, ce qui est vendu sur le marché, je veux dire, les gens n’ont même plus le temps de développer une dépendance. Les gens meurent souvent avant même d’avoir pris leur deuxième dose dans de nombreux cas. Alors, on ne parle plus du même genre de crise qu’à l’époque où ma fille consommait… Aujourd’hui, les parents n’ont même plus le temps d’être fermes avec leur enfant ni même d’avoir le temps de réfléchir à cette possibilité, c’est la mort automatique, vous savez, et les parents reçoivent un appel leur annonçant la mort de leur enfant plutôt qu’un appel leur disant que leur enfant est dépendant des drogues. Moi, j’ai eu cette chance. Je l’ai gaspillée. Mais aujourd’hui, beaucoup de parents n’ont pas cette chance. 

Dans la plupart des cas, je pense qu’il est pratiquement impossible de voir venir les choses. Vous savez, un jeune va à une fête et quelqu’un lui dit : « Hey, essaye ça », et ils le font et ça peut être n’importe quoi, de la cocaïne, à un party de pilules et parfois du fentanyl mélangé à la drogue et les jeunes sont parfois naïfs à propos des opioïdes et puis c’est finiils sont morts. 

Si je devais revivre cette période avec tout ce que je sais aujourd’hui, et je le fais avec mes petits-enfants, mes neveux et niècesj’en discuterais de façon honnête et franche. Je leur explique qu’il y a une crise, qu’il y a toutes ces drogues épouvantables qui circulent. Et, vous savez, d’être extrêmement prudent dans tout ce qu’ils font et dans les décisions qu’ils prennent. Je ne suis pas assez naïve pour croire qu’ils n’essaieront jamais de drogues. Je ne veux pas voir un autre membre de ma famille mourir en raison des drogues alors je tiens à les prévenirleur expliquer comment utiliser la naloxone, de ne jamais consommer seuls, de les informer de toutes les précautions qui existent. Je veux leur donner tous les outils pour s’en sortir et je leur dis qu’ils peuvent me parler de tout. Vous pouvez tout me demander et je serai  pour aider. Je ne critique pas, je ne fais pas de stigmatisation, je ne voudrais surtout pas faire ce que j’ai fait lorsque ma fille était . Il faut simplement être présent, en discuter ouvertementêtre  si quelqu’un a besoin d’aide. Vous ne pouvez pas simplement avoir une attitude moralisatrice et vous dire que vous êtes au-dessus de la crise. Une telle attitude mène à la mort. 

Narrateur : 

Donna a elle-même fait face à une utilisation problématique de médicaments disponibles sur ordonnance. Malgré son expérienceelle a trouvé difficile de comprendre ce que vivait sa fille. 

Donna : 

Vous savez, je prenais de l’OxyContin, de la neurotine, Effexor, Wellbutrin, tous sur ordonnance et tous en même temps, et je buvaisJ’étais totalement dépendante, et j’ai arrêté par sevrage brutal. J’ai été en mesure de le faire et ce n’était pas agréable pour les gens autour de moi. Mais j’ai réussi. 

Ma fille n’a pas eu cette chance, au lieu de l’aider, je l’ai plutôt critiquée et stigmatisée… je veux dire c’est à cause de moi si on lui a retiré ses enfants et si on l’a mise en prison. L’aspect répressifou l’aspect criminel, voilà ce qui l’a empêchée de nous demander de l’aide. Elle a essayé de se débrouiller seule alors qu’elle était en crise. Donc non, ce n’est pas la solution, ce n’est pas la façon correcte de faire les choses. Je suis convaincue que le remède à cette crise passe par les services de santé, les services sociaux et les services en santé mentale. 

Je pense qu’il est important que les gens se sentent libres de parler de leur combat contre la dépendance. Et je pense que d’en parler au grand jour est la seule façon de résoudre la crise actuelle. De la façon que l’on traite les gens qui consomment des substances, nous les forçons à se cacher et, comme je l’ai dit plusieurs foisc’est ce qui les tue. Nous ne pouvons résoudre un problème que nous ne voyons pas. Si nous pouvons en discuter ouvertement avec les gens qui consomment des substances, de même qu’avec les gens qui sont  pour les aider afin de comprendre tous ensemble ce que nous pouvons faire plutôt que de simplement appliquer des solutions toutes faitesalors nous allons trouver les véritables solutions. 

Et selon mon expérience actuelle de diriger des sites clandestins de prévention des surdosesj’avais des avocats et des juges qui venaient juste pour être surveillés pendant qu’ils consommaient leur drogue. Donccréer une atmosphère  ils se sentent en sécurité. Mais pourtant, il fallait que ça reste clandestince n’est pas aussi ouvert qu’on pourrait le penser. Les gens sont prêts à recevoir de l’aideIls sont prêts à cesser de consommermais nous devons développer un système qui va les guider vers nous et faire en sorte qu’ils se sentiront à l’aise et qu’ils ne consommeront pas dans leur chambre. 

Nous avons eu un jeune garçon âgé d’à peine 13 ans qui est venu nous demander de l’aide. Il faut accepter le fait que de toute façonce garçon consomme et il doit le faire dans un environnement supervisé pour éviter qu’il ne meure d’une surdose, et nous devons offrir à tous les autres des services sociaux, des services de santé et de santé mentale. Ce garçon venait d’une bonne famille. Il s’était fracturé une jambe, avait pris des opioïdes pour contrôler la douleur, et il n’arrivait pas à se sevrermais ne pouvait en parler avec son médecin, ne pouvait en parler avec sa famille, et le sevrage était extrêmement douloureux. On lui disait simplement d’être fort, d’endurer le mal, de s’en remettre. Alors il s’est rabattu sur les drogues de rue. Et il volait les membres de sa famille pour trouver l’argent pour se procurer sa drogue. Et il continuait. 

Plutôt que de punir l’enfant lorsqu’il prend des mauvaises décisions pour obtenir quelque chose dont il a besoinça aurait été une meilleure situation de dire : « Pour quelle raison voles-tu ? Pour quelle raison tentes-tu de vendre tout ce que tu trouves dans la maison ? Pour quelle raison as-tu encore besoin de consommer ces drogues ? » Puis l’amener chez le médecin et dire OK, il faut faciliter le sevragebaisser sa dose et lui permettre de ne pas être trop malade pendant le processus. Et nous devons faire attention à ça et surveiller ce qu’il se passe. En rétrospectivej’agirais différemment avec ma fille et je lui dirais : « OK, tu es tombée en bas de l’escalier, on t’a donné de l’OxyContin et tu en es maintenant dépendante. Allons voir le médecinallons à la clinique de traitement des dépendances et trouvons une façon qui fonctionne… pour passer au travers la douleur du sevrage et de tout le reste, et simplement revenir à une dose acceptable jusqu’à ce que tu cesses complètement. » 

Je pense que le premier conseil que je donnerais aux parents est de ne pas présager de ce qui arrivera. Il faut respecter les valeurs que la personne qui consomme veut atteindre. Et peut-être que cette personne consommera pour le reste de sa vie, mais qu’elle pourra bien fonctionner en société en même temps. On ne doit pas attendre des gens qu’ils deviennent ce qu’on veut qu’ils deviennent. Il faut leur permettre d’être ce qu’ils veulent être. Et… dans le cas de ma fille, lorsqu’elle a su qu’elle allait mourir, elle a dit : « Je veux juste être en paix. Je ne veux plus vivre avec ces démons qui s’agitent dans ma tête et je ne veux plus subir la douleur des blessures que je me suis infligées à moi-même. Je veux me sentir en paix ». Et sachant qu’elle allait mourir de toute façon, il me fallait simplement accepter cela, non ? Je devais accepter le fait qu’elle allait continuer de consommer ces substances jusqu’au moment de sa mort. C’est son choix, ce n’est pas le nôtre, ce n’est pas notre vie à vivre. Bien sûr, je veux les protéger les gens. Je veux que tout le monde demeure en vie, mais… il reste que les gens font leurs propres choix, et lorsqu’on est dans une position où l’on est incapable de faire les bons choix, il faut les soutenir dans leur désir de faire les bons choix. 

Aujourd’hui, je m’efforce de diriger les gens vers une clinique où ils auront un accès rapide pour traiter leur dépendance. Ils s’assoient et on leur demande : « Que veux-tu ? Consommer en toute sécurité ? Réduire ta consommation ? Faire un sevrage brutal ? Comment pouvons-nous t’aider et te soutenir ? » Et ils font un plan. Un contrat est établi et tous travaillent pour ce que ça fonctionne. Oui, il y a beaucoup de rechutes, et il y a des allez-retour, mais le dialogue est ouvert et les gens ne sont redevables qu’à eux-mêmes : c’est ce que j’ai décidé de faire et c’est ce que je veux faire et ces gens sont là pour me soutenir dans cette action. Plutôt que de les enfermer, de les forcer dans une clinique de traitement et de refermer la porte et de leur dire, vous allez souffrir dans ce processus. Non seulement ils sont d’abord punis par ce qui a causé leur dépendance aux opioïdes, mais ils sont punis également lorsqu’ils tentent de s’en sortir. Je ne pense pas que l’on peut continuer à les punir pour ça. Nous devons être en mesure de les aider. Pour cela, nous devons d’abord et avant tout traiter les causes de leur dépendance. 

Narrateur : 

La vie de plusieurs Canadiens est dévastée par la consommation problématique d’opioïdes. Les statistiques sont tragiques et sidérantes. Derrière ces statistiques, il y a des gens. Cette crise a un visage. C’est celui d’une amie, d’un collègue, d’un proche. Quand on regarde dans les yeux d’une personne touchée et qu’on voit son propre reflet, c’est par là que commence l’élimination de la stigmatisation qui empêche souvent les gens qui consomment de la drogue d’obtenir de l’aide. Pour en savoir plus sur la crise des opioïdes, rendez-vous au Canada.ca/Opioides. 

Cette série audio est produite par Santé Canada. Les opinions exprimées par les personnes qui témoignent pendant cette émission sont celles de ces personnes et non celles de Santé Canada. Santé Canada n’a aucunement validé l’exactitude des propos entendus pendant l’émission. Reproduction de ce contenu, en tout ou en partie, à des fins non commerciales est permise.