L’histoire d’Amy

Amy – Produit par Santé Canada

Narrateur : 

Bien en vue est une série audio produite par Santé Canada, qui explore les histoires personnelles de personnes touchées par la crise des opioïdes. 

D’après les statistiques les plus récentes, environ 12 personnes meurent d’une surdose d’opioïdes au Canada. 

On le voit au bulletin de nouvelles. On est conscient que ça arrive. On sait que c’est vrai. Mais on se dit que ça ne pourrait pas arriver à quelqu’un qu’on connaît, à un collègue, aux gens qu’on aime, et qu’on est nous-mêmes à l’abri. 

En réalité, la crise des opioïdes bat son plein bien en vue et peut toucher n’importe qui. Des milliers d’histoires en témoignent. 

Josh avait un sens de l’humour extraordinaire et adorait pratiquer des sports. Il est allé à une fête un soir et tout a changé. Sa soeur, Amy, nous raconte son histoire 

Amy : 

Nous avons grandi dans une petite ville de Nouvelle-Écosse. Je suis la plus âgée de quatre enfants. Josh est au milieu. Nous avons eu une belle enfancel’enfance typique d’une famille de la classe moyenne. Nous pratiquions tous différents sports et avions chacun nos intérêts. Je faisais de la gymnastique et du volleyball. Joshua aimait le hockey, le skateboard et la planche à neige, il a pratiqué des sports tout le long de son secondaire. Nous étions très proches. 

Josh aimait prendre des risques et il avait un sens de l’humour extraordinaire. Il a toujours été le clown de sa classe, celui qui faisait rire les gens. Il aimait aussi faire du bénévolat à la garderie tenue par ma grand-mère. Il y passait ses étés à l’aider et à participer aux activités, avec les autres enfants. Quand il est devenu plus vieux, il aimait aussi beaucoup interagir avec les plus jeunes que lui. Et les enfants l’adoraient, car il avait un tel sens de l’humour et il était toujours enjoué avec eux et même dans la vingtaine, il avait gardé son cœur d’enfant. 

Lorsqu’il a quitté l’école, il est parti pour l’Alberta. Il s’est trouvé un travail dans l’ouest comme arboriste. Il adorait faire çaC’était quelque chose qui lui donnait un sentiment d’accomplissement… d’avoir reçu la formation et d’avoir eu une promotion. C’est à partir de ce moment que nos vies ont changé à jamais. 

Au début, il s’agissait d’une excellente nouvelle : Josh avait eu une promotion en Nouvelle-Écosse pour revenir à la maison  toute la famille se trouve, et nous étions tous heureux. Et il était aussi très fier de lui, car de retour en Nouvelle-Écosse d’Alberta, il avait pu embaucher certains de ses amis. Il trouvait cela génial. Il avait 21 ans, un réel appétit pour la vie et il entreprenait une nouvelle aventure. Il avait acheté une nouvelle auto en rentrant à la maison et je me souviens à quel point il en était fier, à l’astiquer constamment. Il cherchait un nouvel appartement. Il y avait hâte à plein de choses. 

Et le 19 mars, il était revenu à la maison depuis environ deux mois, peut-être même moins. Je ne suis pas sure, mais ça ne faisait pas tellement longtemps. Il habitait avec quelqu’un et s’installait dans la vie, avec un appartement, l’achat de meubles et des choses comme ça. 

C’était un vendredi soir. Il avait terminé sa journée de travail. Il devait venir me rejoindre au chalet, un chalet familial, à environ une heure de route d’où nous vivions. Et il m’a appelé et m’a dit : « Je suis tellement fatigué, Amy, je suis désolé. Le travail a été vraiment long aujourd’hui. Je dois ramasser ces meubles pour livrer au nouvel appartement et je suis juste trop vidé pour faire la route. On se reprendra la prochaine fois. » Ce sont les derniers mots que j’ai entendu mon frère prononcer,  « On se reprendra la prochaine fois », ce qui est très ironique, car il n’y a pas eu de prochaine fois. 

Nous avons passé une soirée normale au chalet. Je n’avais pas la moindre idée qu’il y avait quelque chose qui clochait. Nous nous sommes réveillés le matin, nous avons fait nos bagagespuis nous sommes rentrés à la maisonJ’ai amené ma fille nager et nous avons du plaisir. Sans aucune idée que quelque chose n’allait pas. Lorsque je suis arrivée à la maisonj’ai enlevé le maillot de bain de ma fille, et le téléphone sonnait sans arrêt. Et j’entendais les notifications. Cela commençait à m’irriter en fait… J’essaie d’enlever le maillot de bain de ma petite fille et je pense « Mais qu’y a-t-il de si important ? », genre, tu sais, qui ça peut être ? 

Alors j’ai fouillé dans mon sac de piscine, pris mon téléphonej’ai répondu et c’était ma soeur plus jeune. Juste au ton de sa voixj’ai su que quelque chose de terrible était arrivé. Elle m’a demandé si j’étais seule. Je lui ai dit que j’étais avec Chloe, ma fille. Et elle m’a demandé «est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre avec toi ? » et je lui demandais pourquoi est-ce que c’est important? Et elle a dit que quelque chose était arrivéJ’ai dit : « Mallory, dis-moi ». Et c’est  que je l’ai appris. 

Elle a dit : « Josh s’est couché hier soir et il ne s’est jamais réveillé ». Et une onde de choc…  je ne peux même pas l’expliquer. Jamais je n’avais été submergé d’une telle émotion avant ce jour-. Et le fait de ne pas savoir ce qui pouvait causer une telle chose. Mon frère était un jeune homme de 21 ans en excellente santé et heureux. Je ne comprenais rien. Comment pouvait-il s’être endormi et ne pas se réveiller ? 

Au cours de l’année précédente, il avait eu quelques problèmes avec sa rate alors nous avons tout de suite pensé que peut-être il avait eu une rupture de la rate dans son sommeil, et, tu saisqu’il était seul. Nous avons attendu que le médecin légiste nous appelle quelques jours plus tard et c’est  que nous nous sommes rendu compte que Josh était en excellente santé. Sa mort n’avait rien à voir avec un problème de santé physique. Alors elle nous a demandé si la consommation de substances aurait pu être un facteur. 

Nous avons été surpris par cette question. Nous attendions des réponses ce jour-, pas d’autres questions et elle a dit qu’il faudrait attendre le rapport toxicologiqueC’est  que ma famille a commencé à appeler des gens avec qui il était ce soir-là, des amis, pour tenter de savoir ce que sa dernière… ce qu’il faisait, et si la drogue pouvait y être pour quelque chose. 

Et rapidement, nous avons appris qu’il était allé à une fête avec un groupe d’amis pour célébrer un anniversaire. Et ils ont essayé un antidouleur vendu sur ordonnance, l’hydromorphone et il avait essayé et c’est ce qui a causé sa mort, nous avons appris plus tard dans le rapport de toxicologie. Nous avons  attendre longtemps avant d’avoir ces réponsesmais nous avons compris en discutant avec ses amis, et nous savions en parlant avec les gens que c’était surement la cause. Le choc fut absolument terrible. 

J’ignorais que d’essayer un antidouleur sur ordonnance, qui est prescrit par un médecinpouvait occasionner de tels dommages permanents et irréversiblesJ’ai toujours pensé que les gens qui souffraient à cause de substances développaient une dépendance et qu’ils luttaient sur une longue période de temps, et que leur famille peut s’en rendre compte, les aider et les convaincre de se faire traiter. 

Je n’avais jamais imaginé qu’un soir je parlerais à mon frère, tout le monde est heureux, que tout irait bien et que, le lendemain matin je me réveillerais et qu’il ne serait plus . À cause d’une seule piluleÇa me donne un grand sentiment d’impuissance, car, en regardant en arrière, je ne sais pas ce que nous aurions pu faire, maintenant; en 2011 – car c’est arrivé en 2011 – la naloxone était uniquement disponible sur ordonnance. Il y avait peu de sensibilisation sur les opioïdes. Il n’y avait pas de Loi du bon samaritainC’est le genre de choses qui n’étaient pas accessibles il y a sept ans et dont les gens n’étaient pas conscientsmais qui aurait pu tout changer. 

Narrateur : 

Dévastée par la mort tragique et inattendue de son frère, Amy s’est impliquée pour sensibiliser les gens au sujet la crise des opioïdes et sur comment celle-ci peut affecter n’importe qui. 

Amy : 

C’était neuf jours après la mort de Joshua que j’ai commencé à m’impliquer. Je n’avais pas vraiment pensé à m’impliquermais je savais que si cela pouvait arriver à ma famille, et à mon frère – et je n’avais même pas imaginé que cela était une possibilité –, alors il y avait bien d’autres personnes dans le monde qui pouvaient être dans la même situation et ces personnes doivent être sensibilisées. Et nous devons faire quelque chose à ce sujet. Car ma famille n’était pas sensibilisée jusqu’à ce que mon frère meure et tout ce que je veuxc’est empêcher d’autres personnes d’être informées de la crise de cette façon – à travers la prévention et l’éducation. Nous pouvons faire beaucoup de choses pour prévenir ces tragédiesparce que ce sont des décès évitables. 

Il n’y a pas de solution magique, mais il faut d’abord et avant tout réduire la demande. Il faut sauver la vie des gens qui sont actuellement à risque et qui consomment, en ayant des sites de consommation supervisée, en rendant disponible la naloxone et des traitements médicamenteux. Nous devons traiter les gens qui consomment actuellement, tenter de les sauver et, en même temps, faire de la prévention pour éviter que des gens soient exposés aux opioïdes lorsque cela n’est pas nécessaire, en prescrivant les opioïdes avec prudence et en éduquant et faisant de la sensibilisation. Nous devons travailler en amont et en aval de la crise afin d’avoir un impact significatif et sauver le plus de vies que possible. 

Car je ne sais pas combien de fois j’ai entendu ces histoires – je sais que le fentanyl illicite fait des ravages aujourd’hui dans notre pays. Mais je ne sais pas combien de fois j’ai entendu ces histoires  les gens ont d’abord été exposés aux opioïdes par des médicaments d’ordonnance, pensant qu’ils sont plus sûrs et plus propres — et ils sontd’une façon, plus sécuritaires que le fentanyl illicite —, mais de nombreuses personnes y sont exposées de cette façon et une fois qu’ils développent une tolérance ou un problème de consommationça les amène à chercher des solutions alternatives plus fortes et moins chères,  lorsque les substances sur ordonnance ne sont plus disponibles ou plus assez fortes. 

Nous devons donc travailler en amont et en aval. On ne peut pas continuer à arrêter les gens pour s’en sortir non plus. Je pense que la décriminalisation des personnes serait très utile. Cela aiderait les gens à demander un traitement. Parce que lorsque vous criminalisez les gens qui consomment des drogues, alors ils le font… ils le cachent. Ils le font en silence. 

Car un grand nombre de personnesmême comme mon frère, peut-être que s’il avait survécu cette nuit-là et qu’il avait continué à consommer des opioïdes et développé une dépendance et s’il avait eu besoin d’aide. Mais en criminalisant la consommation de drogues, tu sais avec son emploi, avec tout le restetu as beaucoup à perdre, car tu admets que tu as violé la loi en disant que tu as consommé des drogues. Alors je pense que ce serait extrêmement utile pour les gens s’ils pouvaient demander de l’aide sans craindre d’être considérés comme des criminels. Je pense que cela serait en effet très utile.  

Aussi, la criminalisation est très liée à la stigmatisation. Je n’ai jamais été victime de stigmatisation dans ma vie, jusqu’à ce que mon frère ne meure à cause de la drogue. Je ne savais pas à quoi cela pouvait ressemblermais j’ai appris rapidement. 

Lorsque j’ai commencé à m’impliquer et à parler publiquement, j’ai appris très tôt à ne jamais lire les sections de commentaires parce qu’il y a beaucoup de haine dans la société envers les gens qui prennent des drogues, et l’incompréhension que ces gens sont inférieurs est très douloureuse et commune. Je pense que c’est un des principaux obstacles à la mise en oeuvre d’intervention, le fait que l’utilisation de substances nocives est un enjeu moral plutôt qu’un enjeu de santé. Et tant qu’on ne changera pas la façon de penser de la société, il sera extrêmement difficile d’appliquer des solutions et obtenir du soutien, susciter la volonté politique de soutenir les interventions. Je pense aussi que cela contribue à perpétuer la crise. 

Il y a sept ans, lorsque mon frère est décédé, la plupart des décès dus à la consommation d’opioïdes étaient le fait d’opioïdes obtenus sur ordonnance. Et les statistiques étaient alarmantes, des centaines de personnes mouraient chaque année en Alberta. En Nouvelle-Écosse, les statistiques sont restées constantes. Même en Ontario, des centaines de personnes sont mortes chaque année à cause de la consommation d’opioïdes depuis sept ans. Mais personne n’était conscient de la situation et personne ne semblait s’en préoccuper. Et cela a certainement à voir avec la stigmatisation. Ces gens qui consomment, tu sais, se font mal à eux-mêmes. Ce n’est pas là une problématique qui touche un enjeu politique ou qui intéresse les gens. Alors aujourd’hui, on se retrouve avec une importante population de gens qui sont dépendants des opioïdes, et le crime organisé s’est emparé de ce marché et ils sont prêts à fournir du fentanyl illicite, ce qui est véritablement dévastateur. 

Ce n’était pas nécessaire qu’on se rende jusque là, mais la stigmatisation a fait en sorte qu’insidieusement, la situation a empiré sans que les gens n’en soient vraiment conscients jusqu’à ce que la situation prenne des proportions dévastatrices. 

Je pense qu’il est utile que les gens partagent leurs histoires et mettent des visages sur cette situation. Et , comme je dis souvent, c’est un club auquel personne ne veut appartenir, mais il compte malheureusement pourtant un grand nombre de personnes. Et je vois aujourd’hui beaucoup plus de sensibilisation et de gens qui racontent leur histoire qu’il y a sept ans lorsque mon frère est décédé. Et je pense que c’est très utile de pouvoir mettre des visages sur ces gens, d’entendre ce que les familles qui ont été affectées ont à partager, les familles ont une voix, et même les gens qui consomment actuellement, les gens qui consomment des drogues, ils ont aussi une voix. Et cette voix compte. Alors les gens qui ont vécu cette expérience ont un rôle important à jouer et ils doivent avoir voix au chapitre. En nous entendant, en nous voyant, nous pourrons réduire la stigmatisation. 

Narrateur : 

La vie de plusieurs Canadiens est dévastée par la consommation problématique d’opioïdes. Les statistiques sont tragiques et sidérantes. Derrière ces statistiques, il y a des gens. Cette crise a un visage. C’est celui d’une amie, d’un collègue, d’un proche. Quand on regarde dans les yeux d’une personne touchée et qu’on voit son propre reflet, c’est par là que commence l’élimination de la stigmatisation qui empêche souvent les gens qui consomment de la drogue d’obtenir de l’aide. Pour en savoir plus sur la crise des opioïdes, rendez-vous au Canada.ca/Opioides. 

Cette série audio est produite par Santé Canada. Les opinions exprimées par les personnes qui témoignent pendant cette émission sont celles de ces personnes et non celles de Santé Canada. Santé Canada n’a aucunement validé l’exactitude des propos entendus pendant l’émission. Reproduction de ce contenu, en tout ou en partie, à des fins non commerciales est permise.